Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Torso par Thierry Bellefroid
« Torso », de Brian Michael Bendis et Marc Andreyko. Chez Semic Noir.

Attention chef d'oeuvre ! Déjà convaincu qu'un livre signé Brian Michel Bendis ne pouvait forcément qu'être bon, je me suis penché sur cet épais bouquin avec un sourire bienveillant. Après dix pages, le sourire avait fait place à une véritable excitation. Bendis, co-scénariste de l'histoire avec Marc Andreyko, en est aussi, pour une fois, le dessinateur. C'est ici qu'on voit à quel point le découpage parfait de BD comme Sam & Twitch lui doit tout. « Torso » est un modèle d'ingéniosité graphique et narrative. Une BD qui a du punch, du souffle sur la longueur, des audaces de mise en page... Une BD qui marche en dehors des sentiers battus, qui pioche dans l'iconographie d'époque et se sert aussi bien de la photo que d'un noir et blanc tranché, mystérieux quand il le faut, stylisé à l'extrême à d'autres moments.
Mais « Torso » n'est pas qu'un roman fleuve d'une maestria totale aux plans du découpage et de la narration. C'est aussi, c'est surtout, une authentique et passionnante tranche de l'Histoire des Etats-Unis. A l'heure où « Dragon Rouge » remet Hannibal Lecter au goût du jour pour la troisième fois, lire « Torso » est comme plonger dans la paléontologie des passions inavouables de ce cher docteur Lecter. « Torso » raconte comment les Etats-Unis se sont réveillés un beau jour avec un nouveau genre de criminel : le serial killer. Non seulement cette première dans l'histoire du crime américain (précédée, bien des années plus tôt en Angleterre par l'avènement de Jack L'Eventreur) est une pièce d'Histoire digne d'être racontée, mais en plus, elle se double d'un concours de circonstances inouï puisque les traces de Torso et celles d'Eliot Ness se croisent tout au long de ces 272 pages ! Auréolé par ses succès à Chicago, Ness est engagé par le maire de Cleveland comme chef de la sécurité au moment où Torso commet son premier crime. Et j'avoue que j'ignorais que c'était un tueur en série qui avait envoyé le plus célèbre des Incorruptibles à la retraite politique. Cela ne fait qu'ajouter un élément passionnant supplémentaire à une BD qui figurera parmi les meilleurs ouvrages de l'année.
Coquetèle par Thierry Bellefroid
« Coquetèle » de Baraou et Sardon. A L'Association.

Je viens de lire Coquetèle ? C'est bien ce que j'ai écrit une ligne plus haut. Pourtant, Coquetèle ne se lit pas. Ne se regarde pas. Coquetèle se joue. Se joue de nous. Se joue de tout. Des codes et des genres. Des chemins déjà tracés. Imaginez l'astuce de cette BD en 3D, pardon... en trois dés. Vous lancez les dés au hasard, vous les placez l'un à côté de l'autre dans l'ordre que vous voulez. Et à chaque fois, ils forment une suite cohérente, toujours renouvelée. Un exercice pleinement oubapien, qui ne pouvait que naître dans les cerveaux foisonnant d'idées des « Associés » ! L'Asso renouvelle joliment ici les voies de l'écriture et de la narration, on ne s'en plaindra pas. Mais fallait-il qu'elle le fît avec un objet si coûteux ? 29 Euros pour la boîte Coquetèle. Aussi jolie, soignée et originale qu'elle soit, ça fait cher le dessin de Sardon ! A ce prix là, le jeu de dés se transforme presque en jeu de dupes...
« Ceux qui t'aiment » d'Etienne Davodeau. Chez Delcourt.

Un conte parfois un peu premier degré que nous propose là Etienne Davodeau, mais un conte d'une sincérité que l'on ne peut pas mettre en doute. Surfant sur la vague de popularité de l'équipe de France de football, l'auteur s'est demandé ce qui pourrait bien faire tomber ces stars de leur piédestal. Il a concocté un kidnapping rocambolesque et pathétique dans lequel Titou, gloire nationale, va toucher le fond et remettre en cause les valeurs auxquelles il croyait. Le foot sert de toile de fond. Mais il est traité en profondeur, sans en avoir l'air. Car les personnages secondaires prennent tous le foot pour ce qu'il n'est pas -ou pour ce qu'on aimerait qu'il ne soit pas. Supporters réduits à partager le bus avec leurs ennemis héréditaires, père autoritaire qui fait du chantage au ticket d'entrée au stade, vieux légionnaire qui ne voit que l'argent que peut lui rapporter le rapt d'une star nationale et ne demande même pas une somme en rapport avec ce que vaut réellement sa « marchandise »... tous ces personnages développent leur point de vue et servent le propos de Davodeau. A force, on trouvera évidemment tout ce beau monde un peu trop caricatural mais comment faire autrement, lorsqu'on veut faire ressortir les limites d'un univers à la fois connu et tristement éloigné de ce qu'il devrait être ?
« Le livre d'Erkor », tome 3 de la Cicatrice du souvenir. Par Ange et Paty. Chez Soleil.

Fin de cycle pour « La cicatrice du souvenir » qui aura su nous tenir en haleine pendant près de 140 pages. Il faut dire que les scénaristes ne sont pas des débutants : les Ange ont un long parcours derrière eux et ratent rarement leur coup. Leur talent est sans aucun doute de parvenir à cacher les véritables motivations des héros pendant un temps suffisant pour permettre des rebondissements spectaculaires dans leurs histoires. Ce fut le cas ici. Dans le premier album, trois personnages très positifs et volontaires joignaient leurs forces pour réparer une injustice. Dans le deuxième volet, l'un des trois apparaissait sous un jour nettement moins favorable ; Erkor se transformait en despote une fois le pouvoir reconquis grâce à l'aide précieuse de Sylvan et Amida. Le troisième album apporte la résolution de l'histoire, mais il nous montre aussi les dessous d'une machination que nous n'avions pas soupçonnée. Rien n'était donc le fruit du hasard, et cela, dès la rencontre des trois « héros » de cette histoire. Intelligemment raconté, dessiné avec de plus en plus de fluidité par Christian Paty, ce triptyque a su tirer parti de ce qu'il y a de meilleur de l'héroïc fantasy pour se distinguer de la production ambiante.
Céfalus par Thierry Bellefroid
« Céfalus », par Ludovic Debeurme. Chez Cornélius.

Et dire qu'il s'agit d'un premier album ! Mais que fera Debeurme dans dix ans ? Avec sa plume et un peu d'encre de Chine, il s'invente un monde d'une totale folie. Un jumeau rescapé part à la recherche de réponses, la tête de son « double » suicidé sous le bras. Point de départ d'un récit surréaliste où l'on croise des créatures plus étranges les unes que les autres ; Pinocchio obsédé sexuel, le docteur Krü et sa ménagerie humaine, une sainte aux orbites sanglantes... Chaque page réserve une surprise au lecteur. Debeurme plonge à pieds joints dans un monde intérieur qui tient à la fois de « Freaks » et de Lewis Carroll. Avec des images à la Magritte, il emprunte aux surréalistes et compose ses cadrages avec un soin parfois génial. Aux confins du conte, de la psychanalyse et de l'introspection onirique, Debeurme rejoint le « Vitesse moderne » de Blutch. Mais dans une oeuvre plus ouvertement détachée du monde réel. Et avec la fougue d'un « débutant » là où « Vitesse moderne » révèle plutôt l'expérience et la somme de travail d'un auteur qui a déjà prouvé sa capacité à sauter toutes les barrières avec élégance.
Warramunga par Thierry Bellefroid
« Warramunga », par Toppi. Chez Mosquito.

Des aventures du Collectionneur à l'exceptionnel Sharaz-De, Mosquito a déjà eu l'occasion de nous montrer à quel point les déserts et les grandes étendues passionnent Sergio Toppi. Cette fois encore, le livre s'ouvre sur un décor magistral. Nous sommes dans le bush australien et aucune mise en couleur ne pourrait mieux rendre ce paysage que le noir et blanc hachuré de l'auteur. Des pierres, des racines décharnées, deux hommes maigres et patibulaires, un aborigène, voilà les seuls accessoires de cette première histoire, « Warramunga », qui a donné son nom au livre. De ces ingrédients simplissimes, Toppi tire une fable attendue, certes, mais d'une beauté quasi picturale dont il a le secret. Le ton est donné. « M'Felewzi » peut suivre. Du bush australien, le lecteur s'envole pour le Transvaal africain. Rhinos, éléphants, impalas et buffles l'y attendent. Mais le safari auquel nous convie l'auteur ne respecte pas les règles du genre. Il commence par un meurtre de sang-froid. La machine, ensuite, poursuit sa route, comme mue par un courant animiste ou à tout le moins, une force obscure. Le dessin, une fois encore, hachure, remplit, recrée le réel, réinvente la page. C'est aussi beau que si Gustav Klimt s'était mis à la BD. Et d'ailleurs, à y bien regarder, c'est à se demander comment Toppi peut être le seul à ignorer si génialement les règles de la bande dessinée pour leur substituer cette grammaire personnelle sauvage, rebelle, tranchante. Une grammaire qui ne cède jamais à la facilité et ne tolère aucune image gratuite.
La trahison (Wayne Shelton) par Thierry Bellefroid
« La trahison », tome 2 de Wayne Shelton, par Van Hamme et Denayer, chez Dargaud.

Le « vieux » scénario de Jean Van Hamme est donc arrivé à son terme. Shelton continuera sous la plume de Cailleteau. En attendant, le diptyque s'achève en apothéose, avec cascades et partenaires restés sur le carreau. Tout aussi Bruno Brazil que le premier, ce deuxième tome est mené tambour battant par un scénariste qui ne laisse jamais rien au hasard. Ce n'est pas la première fois qu'il doit faire évader quelqu'un de prison. Mais on peut dire que Van Hamme a minutieusement mis son plan au point. L'histoire est à la fois crédible et inattendue pour ne pas décevoir un lecteur mis en appétit par le premier album. D'aucuns trouveront évidemment qu'on ne s'attache pas vraiment aux personnages et ils n'auront pas forcément tort. C'est vrai que Wayne Shelton est plutôt un héros en creux, on ne sait rien de lui ni de ses sentiments. Quant à la fin, très prévisible, elle apparaît comme une apologie de l'auto-justice et ne convainc pas vraiment. Mais Denayer, lui, tient bien ses personnages. Il n'a plus dessiné comme ça depuis Alain Chevalier.
« La voix intérieure », tome 2 de « La maison dieu », par Rodolphe et Berr. Chez Albin Michel.

Même si le dessin de Nathalie Berr m'enthousiasme encore moins que dans le premier album, je reste intrigué par ce scénario de Rodolphe. L'histoire de ces neufs « élus » devenus des surdoués chacun dans leur domaine du jour au lendemain fournit une excellente intrigue. L'auteur ne rate ni les nécessaires rebondissements ni les personnages secondaires qui doivent donner l'envie de lire la suite au lecteur. Il ménage peut-être juste un peu trop son suspense. On aimerait que le prochain album permette de franchir une étape décisive dans la résolution de ce mystère. Pour l'heure, heureusement, le lecteur n'a pas l'impression que Rodolphe tire son récit en longueur ; l'intervention d'Agathe, la télépathe qui va tenter une alliance avec les autres surdoués, relance en tout cas l'intérêt de l'histoire.
« Pawa, chronique des Monts de la lune », par Stassen. Dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Pawa n'est pas une BD. Ce n'est pas un carnet de notes illustré non plus. Plutôt une série d'articles engagés, parfois même plus proches de la nouvelle, au ton tantôt désabusé tantôt cynique, souvent corrosif, dans lesquels le dessin s'ajoute à l'écrit. Stassen y livre sa vision de l'Afrique des Grands Lacs et plus précisément du Rwanda et du Burundi (mais le Congo et l'Ouganda ne sont jamais loin). A travers quatorze textes sans concession, l'auteur de « Déogratias » va plus loin que dans tous ses ouvrages précédents. Cette fois, la fiction n'est plus là pour servir la réalité ; c'est la réalité qui est mise en perspective, livrée en kit, avec notes en bas de page et recettes de cuisine. Une réalité brute, parfois insoutenable, souvent très éloignée des livres d'histoire et des articles de presse. Le journaliste que je suis ne peut rester insensible devant cette remise en cause de quelques-unes de ses certitudes. Pawa est une baffe dans la gueule, parce que Stassen ne doit rien à personne, parce qu'il connaît les lieux comme personne, parce qu'il exprime non pas un témoignage mais un cri de colère. La lecture de ce livre n'est pas aisée. Mais loin du manuel scolaire, elle est tout simplement utile.
Ubu Roi - T. 1 (Ubu) par Thierry Bellefroid
« Ubu Roi », par Emmanuel Reuzé, librement inspiré de l'oeuvre d'Alfred Jarry. Chez Emmanuel Proust.

Qu'il est difficile d'adapter « Ubu roi » en BD après le coup de maître de Daniel Casanave, nominé l'an dernier à Angoulême dans la catégorie du meilleur dessin. L'adaptation en noir et blanc et en un seul volume parue aux 400 Coups fait évidemment figure de référence. Emmanuel Reuzé, dessinateur débutant, peut-il faire le poids ? Oui, si l'on considère qu'il livre ici un album au ton plus proche de l'univers absurde et burlesque de Jarry. Là où le dessin jeté et dépouillé de Casanave visait l'économie de moyens pour faire contrepoids au grotesque des personnages, Emmanuel Reuzé appuie au contraire de toutes ses forces. La farce n'en est que plus énorme. Déformant les visages et triturant les cases jusqu'à éclater sa mise en page, le jeune dessinateur rennais insuffle une énergie propre à cette vision d'Ubu. L'ensemble apparaît comme surjoué mais tient la route. Encore faut-il voir ce que l'entreprise apporte au texte original de cette pièce fondatrice du théâtre surréaliste. On est surtout curieux de voir comment l'éditeur réussira le pari de réaliser des suites inédites aux classiques de la littérature qu'il a choisi d'illustrer dans cette collection intitulée « Trilogies ».
« L'espoir assassiné », tome 2 de la trilogie « Le cri du peuple », par Tardi et Vautrin. Chez Casterman.

Couronné par l'Alph'Art du meilleur dessin, Tardi poursuit son adaptation de Vautrin avec le même bonheur. Il y a dans cet album le même souffle épique, le même amour des anonymes, des seconds rôles, des laissés pour compte. Il y a ces scènes de la grande Histoire, mêlées à la vie quotidienne et aux petites histoires qui, parfois, prennent le dessus sur toutes les autres. Il y a cette mise en page inspirée, ces tableaux inoubliables, ce souci du détail qui pourtant s'accompagne d'une grande stylisation. Bref, Tardi est pareil à lui-même, c'est-à-dire excellent. Le seul point noir vient peut-être du texte qui, à force de vouloir à tout prix sonner juste, en devient fatigant. Trop d'argot tue l'argot, aurait-on envie de dire...
« Monsieur « I » », tome 2 de Norbert l'imaginaire. Par Vadot et Guéret. Au Lombard.

Après des débuts remarqués, Guéret et Vadot n'avaient pas droit à l'erreur. Car raconter la vie tourmentée de l'intérieur d'un cerveau humain, ça marche une fois... de là à en faire une série, on peut se demander s'il n'y a pas un risque de très vite épuiser le sujet ou, à tout le moins, l'originalité du propos. Pourtant, les auteurs ont su renouveler leur fond de commerce. Non seulement, on ne s'ennuie pas une seconde à la lecture de ce second album, mais en outre, on y découvre un univers plus riche que prévu, avec davantage de place pour les sentiments et le contour des personnages. Et avec un mélange des genres à la fois audacieux et totalement réussi. On flirte avec le fantastique, la politique-fiction, l'histoire d'amour, la comédie, la farce, la fable et le drame. A aucun moment, on n'a le sentiment de savoir vers où vogue la navire. La surprise est complète, la croisière aussi confortable que dépaysante. La mise en page réserve quelques beaux moments (avec De Niro et Al Pacino en guest stars) et les trouvailles visuelles ne manquent pas. Que demander de plus ?
Sale blague mon amour (Miss) par Thierry Bellefroid
« Sale blague mon amour », tome 4 de Miss, par Riou, Vigouroux et Thirault. Aux Humanos.

Nola et Slim se rapprochent mais se diront-ils « je t'aime » avant que la vie les sépare ? C'est sur cette interrogation qu'est construit le quatrième acte de cette série, ce qui nous éloigne considérablement des débuts. Pourtant, on continue à assister à quelques-unes des opérations de « nettoyage » de notre couple de tueurs. Sur fond de krach (nous sommes en 1929), les affaires périclitent ; Nola et Slim prennent davantage de risques pour moins d'argent. Toujours aussi froids et déterminés, ils abattent leurs cibles sans se poser de questions, du moins, quand elles ne se sont pas suicidées avant leur arrivée. Thirault joue toujours aussi bien sur les voix off, son scénario tire magnifiquement parti du contexte historique et installe un suspense insidieux. Riou et Vigouroux réussissent quelques cases magnifiques, mais je regrette pour ma part les couleurs des débuts assurées par Scarlett Smulkowski. Les effets informatiques sont trop visibles et trop peu compatibles avec l'ambiance choisie. Le résultat est qu'il m'a fallu plusieurs essais avant d'arriver à me convaincre de lire cet album. Mais je ne l'ai pas regretté. Thirault manie dans ce quatrième tome le chaud et le froid, le drame et le romanesque. Et jusqu'au bout, le lecteur se demande s'il va vers une happy end ou l'inverse.
Tutti Frotti (Chaponoir) par Thierry Bellefroid
« Tutti Frotti », un album de Chaponoir, par Lamorthe. Chez Fluide.

De la couleur chez Fluide, on aura tout vu ! Il faut dire que les planches de Lamorthe ont le privilège de faire la quatrième de couverture du magazine Fluide Glacial. L'humour absurde y est plus que jamais au rendez-vous. Les allusions (mais peut-on encore parler d'allusions devant certains gags de cet album ?) au sexe ne sont pas en reste. Il y a chez Lamorthe un ton véritablement réjouissant qui s'exprime dans d'excellents gags. Dommage que le niveau ne soit pas toujours égal, mais il y a quelques très bonnes trouvailles, comme le cent mètres rateau, le hold-up de la banque de sperme ou la pince pour neutraliser la mèche de forage du voisin (lisez l'album, vous comprendrez). A côté de ça, des idées nettement moins fraîches et même parfois carrément pas drôles font retomber les zygomatiques entre les coups. Lamorthe a tout de même le mérite de nous concocter tout un album sans une miette de phylactère, ce qui est loin d'être facile.
Toussaint 66 par Thierry Bellefroid
« Toussaint 66 », de Kris et Lamanda. Dans la collection « Encrages » des éditions Delcourt.

Voilà ce qu'on appelle un album plein de bons sentiments. Le scénariste, Kris, s'en explique même dans la préface. Il a voulu rendre hommage à sa famille, en partant du récit de la vie de ses oncles et tantes, éparpillés en Afrique et pourtant restés si proches les uns des autres à travers les liens familiaux. Mais il a choisi la voie de la fiction. Un seul personnage pour camper les neuf enfants de son grand-père. Il s'appelle Toussaint. Il est mercenaire, il revient en Bretagne après quinze ans d'absence pour hériter de l'urne funéraire dans laquelle se trouvent les cendres de sa mère et s'embarquer en sa compagnie dans un étrange voyage. Burlesque, le récit choisit la voie de l'humour et celle de la fantaisie pour raconter l'errance, l'éloignement, les liens du sang. Pudeur, sans doute. Mais on aurait préféré une voie plus directe, plus autobiographique, à la manière d'un Grégory Mardon. Reste que Julien Lamanda parvient à donner de la vie à cette histoire à travers un noir et blanc économe de décors et très porté sur les nuances de gris.
La bête par Thierry Bellefroid
« La bête », par Chabouté, chez Vents d'Ouest.

On l'a déjà dit, redit et re-redit. On va encore le répéter, parce que ça ne s'est sans doute jamais tant justifié. Chabouté est le fils spirituel de Comès. « La bête » pourrait d'ailleurs être présenté en librairie comme le nouvel album de l'Ardennais, les lecteurs les moins regardants s'y laisseraient prendre. Cela veut-il dire que Chabouté n'est qu'un pâle copiste ? Ah, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! « La bête » est une histoire qui sent bon le déjà vu, mais tellement bien racontée et dessinée que je m'en voudrais de la résumer à sa filiation à l'univers de Comès.
Un inspecteur plutôt à bout de souffle coincé par la neige dans un trou perdu où s'ammoncèlent des cadavres, on a forcément l'impression d'avoir déjà lu ça. La résolution finale est en outre assez attendue ; on se doute assez vite que l'un des personnages de l'histoire est le tueur (même si la raison qui pousse la « bête » à se faire serial killer de campagne ne peut pas être devinée). Mais l'ambiance de huis-clos enneigé et les dialogues tout en retenue de Chabouté installent la magie au coeur de ce qui pouvait apparaître comme un exercice un peu vain. Son noir et blanc tranchant convient totalement au récit de cette chronique policière hivernale. A ces gens opaques et transparents à la fois. A ces silences et ces vieilles petites haines villageoises, à ces caractères en acier trempé qu'il traque derrière chaque visage buriné. Allez, disons-le, Comès n'aurait peut-être pas fait mieux !
Vitesse moderne par Thierry Bellefroid
« Vitesse moderne », par Blutch. Dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.

Difficile de faire partager ses rêves. Quand on se réveille, on a toujours cette impression que l'histoire tient debout, que les détails invraisemblables ont tous un lien de causalité évident. Et puis on se met à réfléchir. Et au moment de passer au récit, on se dit que non, c'est décidément impossible à raconter. Blutch, lui, tente l'exercice. Au cours d'une journée qui s'étire et se distend sans logique, son héroïne, Lola, passe allègrement d'une réalité à l'autre. Pas d'ogre ni de monstre dans le rêve de Lola. On est dans le domaine du réel décalé. Tout au plus quelques personnages masqués. Mais les enchaînements, les comportements des personnages, échappent à la logique habituelle du récit. Le père, omniprésent, revient comme une récurrence freudienne, tandis que Renée, la biographe officielle de Lola, est toute en évanescence. Il y a une grâce évidente dans cette entreprise, une patte artistique du plus haut niveau. Blutch ne parvient cependant pas à faire oublier au lecteur que le rêve est quelque chose de personnel et d'intérieur. On n'entre pas dans le rêve de quelqu'un, chacun suit ses propres règles en la matière. Voilà pourquoi le récit de Blucth déroute, irrite parfois. Personnages abandonnés à leur sort, enchaînements incongrus, sorties de route et récupérations in extremis, la gamme est largement utilisée ici. Mais elle s'accompagne aussi de poésie surréaliste et d'exploration des relations humaines. Quelque part dans les souterrains de l'âme, Blutch parvient à envoûter les esprits. Et c'est déjà très bien. Mais « Vitesse moderne » n'est pas un chef d'oeuvre pour autant.
Ceux qui vont mourir.. (Murena) par Thierry Bellefroid
« Ceux qui vont mourir », chapitre quatrième de Murena, par Dufaux et Delaby. Chez Dargaud.

Que dire de ce quatrième chapitre ? Qu'il consacre définitivement cette série comme la plus aboutie de celles sur lesquelles travaille Jean Dufaux ? Plus il avance dans ce récit romancé de la vie de Néron, plus Dufaux se débarrasse de ses tics, de ses manies, de tout maniérisme. Reste un rubis brut, une pépite montée en sautoir par un Delaby au mieux de sa forme. On peut ne pas aimer les peplum, détester Alix, abhorrer le film Gladiator, on peut même avoir en horreur toute l'oeuvre de Jean Dufaux... et aimer Murena. Parce que cette histoire est universelle, dramatique, à la fois antique, baroque et totalement contemporaine. Du grand art.
« Rochecardon III », troisième tome de « Histoires d'en Ville », par Berlion. Chez Glénat.

La fin de ce premier cycle consacre magnifiquement le talent d'Olivier Berlion. Non seulement son dessin ne cesse d'évoluer, mais il prouve avec ce triptyque qu'il a de réels talents de scénariste. Alors que sort chez Dargaud un nouvel album du Cadet des Soupetard qui est sans doute le plus réussi de la série (« Lâne en culotte », un récit plein de poésie et d'émotion, ne le ratez pas, c'est du tout grand Corbeyran !), « Histoires d'en Ville » explore la face noire de Berlion. Une face que le dessinateur arpente au travers d'un dessin au trait volontairement épaissi, se rapprochant de la démarche réalisée il y a quelques années par Pellejero. Le changement est surprenant mais très réussi et installe de nouvelles ambiances et d'autres possibilités dans la mise en image de ce polar tortueux. La résolution de l'intrigue se déroule sans temps mort ni lourdeur, livrant au passage la quintessence des personnages. Car la force de Berlion sur ce scénario aura été de réaliser un casting sans faille.
L'arbre des volants (Lomm) par Thierry Bellefroid
« L'arbre des volants », tome 1 de Lomm. Par TBC. Chez Vents d'Ouest.

Le lecteur assidu -et convaincu- de TBC que je suis a été particulièrement dérouté par ce nouvel univers. TBC ne nous avait pas préparé à cette série de SF « primale ». L'univers décrit dans le premier album de cette série est particulièrement violent, parfois même au point de déranger le lecteur. C'est la loi du plus fort dans toute sa splendeur. Il y a une colère qui sourd de cet album, celle d'un homme marqué par la guerre de Bosnie, qui transpose la violence de son monde dans une pure création de science-fiction. A le lire, on retrouve d'ailleurs le même sentiment que face à « La guerre éternelle » où Joe Haldeman se débarrassait au travers d'une oeuvre de fiction des fantômes de la guerre du Vietnam qu'il traînait derrière lui. La violence de ce peuple des arbres et ses règles préhistoriques sont là pour planter le décor d'un monde où celui qui naît plus faible que les autres n'a pas le droit de se reposer sur ses acquis. Pour survivre dans cet univers hostile, le petit Lomm ne peut compter que sur lui-même, du moins dès le moment où sa mère le quitte du regard (la fin de l'album est à ce sujet assez explicite). Tout cela fait de cette histoire une évidente parabole sur la vie des plus démunis dans le monde impitoyable où nous vivons. Avec un dessin efficace et épuré -mais moins beau que dans ses productions en noir et blanc-, TBC nous plonge dans cette course haletante pour la survie et ne nous lâche qu'à la dernière page sur une dernière image d'une violence toute symbolique. De la SF qui fait mal...
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